Raconter et faire raconter des histoires en classe avec la conteuse franco-allemande, Odile Néri-Kaiser Une nouvelle coopération entre l´association Les Amis du Roi des Aulnes et l’Académie de Versailles

, par Elisabeth Thomas

En 2009, il a été à nouveau possible de faire intervenir Nicole Bary, Directrice de l’association Le Roi des Aulnes, sur une action de formation continue pour les professeurs d’allemand de l’Académie de Versailles. Dans le cadre de ce travail collaboratif, les professeurs d’allemand de l’académie ont déjà eu la chance de rencontrer au cours des années précédentes : Zsuzsa Bank, Daniel Kehlmann Hanna Johansen et Bas Böttcher.

Dans la mesure où, en 2009, l’action de formation continue concernée par cette intervention était davantage axée sur l’étude d’une œuvre suivie en cours d’allemand, il est apparu judicieux de faire rencontrer aux professeurs une conteuse, car le conte peut être, particulièrement en collège, le support privilégié d’une lecture suivie.

La conteuse qui a animé avec Nicole Bary la troisième et dernière journée de formation fut Odile Néri-Kaiser, une conteuse franco-allemande qui vit en Allemagne depuis dix ans avec sa famille. Le choix de cette conteuse s’est avéré très judicieux, car l’objet du stage était notamment la recherche de stratégies pour greffer des activités de prise de parole autour d’une lecture suivie. Or, Odile Néri-Kaiser a justement axé son intervention sur les techniques d’expression orale qui peuvent être mises en œuvre avant ou après avoir raconté un conte.

1° la journée de formation à Boulogne

En raison de l’envoi très tardif des convocations au stage par les services compétents, sur les 25 professeurs initialement inscrits à l’action de formation seulement une douzaine ont effectivement été présents sur les trois journées de stage prévues. La première journée a été consacrée à la construction d’un projet de lecture suivie en collège et en lycée, la deuxième à la dramatisation d’un texte suivi et elle a été animée par un professeur qui enseigne à la fois l’allemand et le théâtre. L’intervention de Nicole Bary et d’Odile Néri-Kaiser a eu lieu le troisième jour, le mercredi 1er avril.

Dans sa présentation, Odile Néri-Kaiser a surtout abordé toutes les techniques que l’on peut envisager, avant ou après avoir raconté un conte, pour faire parler les élèves.

Il ne suffit toutefois pas de « raconter » pour susciter l’émotion. Il faut accompagner la parole de signes non-verbaux, comme le regard, le geste, l’expression du visage, qui vont conférer une plus grande expressivité au texte et, si le public ne maîtrise pas parfaitement la langue, lever des entraves lexicales. Pour Odile Néri-Kaiser, 30 % de l’histoire relèvent de l’écrit et le reste du non-verbal. Avec un public d’élèves qui apprend la langue des histoires qui sont racontées, il faudra veiller à adapter le texte à leur niveau de connaissances et ne pas les confronter à trop de mots inconnus.

Il est aussi important de proposer des activités préalables de prise de parole qui peuvent constituer un pendant à la narrativité redondante des contes et des légendes. Il peut s’agir par exemple de « vire-langues » (« Zungenbrecher »), de comptines enfantines (Kinderreime, Abzählreime..), de petites sentences (kleine Sprüche). Ces activités ont l’avantage d’aborder la langue sous un aspect ludique.sans oublier l’entraînement systématique de la prononciation et de la diction qu’elles permettent.

Les activités de prise de parole peuvent être des randonnées (« Kettengeschichten ») que le groupe de professeurs qui participait au stage a eu le plaisir d’expérimenter. Elles consistent pour chaque participant à enrichir un énoncé logiquement d’un autre énoncé qu’il a inventé, à répéter l’ensemble des énoncés, et ainsi de suite.

Quand on raconte une histoire, il s’agit de faire surgir des images intérieures qui sont propres à chacun. Ces images sont, selon Odile Néri-Kaiser, comme des portes qui permettent de visualiser l’histoire. Elles peuvent concerner l’identité des personnages de l’histoire comme dans celle de la soupe de pierres (die Steinsuppe). On peut alors constituer des groupes et confier à chaque groupe des tâches différentes : faire des hypothèses sur l’identité de la femme ou celle de homme, raconter l’histoire du point de vue d’un narrateur qui agrémenterait l’histoire de commentaires personnels, dire comment l’histoire pourrait se terminer. L’histoire de la soupe de pierres ne comporte en effet pas de fin. Durant ces activités de prise de parole, il ne s’agit pas d’accorder une trop grande importance à la correction des énoncés produits par les élèves et leurs fautes ne doivent pas être systématiquement corrigées, car cela risquerait de les bloquer dans leur envie de dire.

Odile Néri-Kaiser a bien sûr aussi rappelé les distinctions entre les différentes formes narratives : le conte (das Märchen) qui se termine toujours bien et la légende (die Sage) dont la fin n’est pas toujours heureuse.

A la fin de son exposé, tous les professeurs étaient encore plus convaincus de la nécessité de transporter leurs élèves dans l’univers onirique des contes et des légendes grâce à l’oralité narrative (mündliches Erzählen). Ils disposaient de techniques concrètes pour s’y préparer et mettre ensuite en œuvre diverses activités créatives. Comme l’a écrit Bruno Bettelheim et comme l’a rappelé Odile Néri-Kaiser, les enfants ont besoin de contes, d’histoires qui les nourrissent et peuvent répondre métaphoriquement aux questions existentielles qu’ils se posent.

2° La rencontre avec les élèves

Le jeudi 2 avril, Odile Néri-Kaiser a rencontré au lycée JB Corot de Savigny sur Orge trois groupes d’élèves différents, constitués chacun d’une douzaine d’élèves, issus de plusieurs classes de seconde et de niveau en allemand très hétérogène.

Deux groupes avaient étudié en cours d’allemand une histoire en continu. Ils avaient aussi lu le conte des frères Grimm « der Froschkönig » qui avait fait l’objet d’une théâtralisation par quelques uns et ils avaient effectué un travail d’écriture créative en rédigeant leur propre conte à partir d’une seule contrainte narrative, l’utilisation de six connecteurs logiques : « vor langer Zeit, eines Tages, dann, aber, denn, da ».

Pour préparer la rencontre avec la conteuse, les élèves lui avaient écrit une lettre personnelle et lui avaient adressé par ce biais des questions qui ont concerné des aspects les plus divers : son activité de conteuse, mais aussi sa vie personnelle et particulièrement les raisons pour lesquelles elle est allée en Allemagne. Deux professeurs d’allemand ont été concernés par ce projet, Elisabeth Thomas et Stéphanie Calvet.

En raison des contraintes d’emploi du temps, une heure seulement a pu être consacrée à la rencontre de chaque groupe avec Odile Néri-Kaiser. Cette rencontre a eu lieu dans une petite salle de la nouvelle bibliothèque du lycée ; Les élèves étaient assis en cercle et ils ont tous écouté avec intérêt l’histoire racontée par la conteuse, par celle que les élèves ont appelée Odile et non Madame Néri-Kaiser, ni Frau Néri-Kaiser, comme si cette rencontre autour d’un conte avait instauré spontanément une relation familière.

Odile Néri-Kaiser a raconté dans les groupes des contes différents. Le premier groupe, constitué d’élèves de niveau pourtant faible, a été très attentif lors de la lecture des deux contes : « Der See im Schwarzwald » et « Ouagadou Gomépé ». Lorsque ce deuxième conte, un conte de randonnée africain, a été raconté, ils ont participé activement quand il s’est agi de répéter en chœur le nom de l’arbre magique : « Ouagadou Gomépé ». Bien sûr, il y avait au début un peu d’inhibition chez les élèves qui ne sont pas habitués à rencontrer des intervenants extérieurs au lycée. Ils ne sont pas non plus beaucoup entraînés à seulement entendre la langue sans support de l’écrit ni illustrations d’aucune sorte et cela a constitué pour eux un exercice difficile, mais qui a eu le mérite de les entraîner à une compréhension plus globale, comme en situation authentique d’écoute dans le pays de langue cible. C’est du reste l’objectif pédagogique poursuivi par Odile Nérit-Kaiser : apprendre aux élèves à ne pas se laisser troubler par les mots qu’ils ne comprennent pas et à essayer de deviner dans un premier temps ce dont il s’agit, les exercices qui succèdent à la narration devant leur permettre une compréhension plus fine et plus détaillée.

La bienveillance, les gestes et les mimiques très expressives de la conteuse, qui était pourtant elle aussi un peu intimidée à l’idée de se produire à nouveau devant un public scolaire français après toutes ces années passées en Allemagne, les ont aussi aidés à suivre le fil de l’histoire. Aucun élève n’a été perdu. La conteuse signale pourtant qu’elle aurait du prendre davantage de temps pour situer l’histoire, éventuellement donner quelques mots clefs avant de commencer la narration, d’autant plus que le vocabulaire spécifique des contes et des histoires traditionnels n’est pas ou peu connu des élèves. À ce propos, il est important de noter que des mots appartiennent à un mode de vie du passé et qu’ils ne doivent pas faire partie du vocabulaire actif des apprenants. Ils aident toutefois à évoquer un monde de rêve, support de création. D’un point de vue plus linguistique, le conte peut permettre de revoir et d’utiliser les verbes de déplacement et leurs prépositions.

La structure redondante des deux histoires a également aidé les élèves dans leur compréhension du texte et Odile Néri-Kaiser a reformulé les mêmes séquences d’une autre manière quand les élèves semblaient ne pas comprendre En tout cas, ils ont tous beaucoup apprécié cette rencontre comme l’ont montré les questions qu’ils ont posées à la fin de la rencontre.

Odile Néri-Kaiser a fait le choix de proposer aux deux autres groupes une légende de fond allemand, celle du charmeur de rats de Hameln et après avoir raconté cette histoire sur un mode à nouveau très expressif - si expressif que les élèves l’ont parfois imitée et accompagné spontanément le texte du geste (da zog er seine Flöte hervor) - elle leur a demandé d’imaginer le lieu, le monde dans lequel les enfants se trouvent maintenant afin d’ouvrir le conte sur une production personnelle. Les propositions ont été diverses et intéressantes. Dans ces deux groupes, les élèves ont aussi été particulièrement réceptifs. Leurs témoignages recueillis à l’issue de la rencontre ont montré qu’ils ont été très heureux de cette rencontre.

On peut seulement regretter que les occasions d’ouvrir les cours d’allemand à des intervenants extérieurs ne soient pas plus nombreuses, car elles permettent aux élèves de percevoir les réalités culturelles allemandes plus directement, en dehors du prisme de celui ou de celle qui est la plupart du temps l’unique médiateur de cette culture : leur professeur d’allemand.

Nous adressons donc nos remerciements les plus sincères à Odile Néri-Kaiser qui a permis cette ouverture et à Nicole Bary grâce à qui cette rencontre a été possible.

Annexes

Annexe 1 :
 Grands axes de l’intervention de Madame Odile Néri-Kaiser du 1er avril 2009 à Boulogne

Annexe 2 :
 "De bouche à oreille ! Raconter et faire raconter des histoires en classe" ;
contribution de Madame Odile Néri-Kaiser parue chez Klett in « Fremdsprachen praktisch : Beiträge und Mitteilungen aus dem Landesverband Baden-Württemberg des Fachverbandes : Moderne Fremdsprachen. »

Partager

Imprimer cette page (impression du contenu de la page)